Vietnam 2018


7 novembre 2018 Guangzhou

C’est au moins la quinzième fois que nous prenons l’avion pour le Vietnam. Il faut l’aimer ce pays pour revenir sans cesse vers sa folie moite et ses sourires amis! Ce sont des amis que nous allons voir justement, des amis dont l’amitié ne s’entretient que par de trop rares courriels, des amis qui sont restés à Hanoï alors que nous désertions, la mort dans l’âme, pour rentrer dans notre pays de froidure et de vent. Des amis qui nous hébergent dans une maison située sur un bras du fleuve rouge où passent des péniches se rendant mollement à la capitale.

L’aéroport de Canton est aussi impersonnel que Hanoï est plurielle et caractérielle.

Le choc va être rude


8 novembre 2018 Hanoï, Co Loa

La maison de nos amis Pierre et Phuong est idéalement située. En partant de la route de la digue on est en 15 minutes dans le coeur de la ville . En partant de l’autre côté, on est en quinze minutes dans la campagne et les rizières. Si la ville change vite, passant en une quinzaine d’années de deux à dix millions d’habitants, ses environs immédiats semblent être identiques à ceux que nous avions quittés il y a longtemps.

Près de l’ancienne capitale, Co Loa, maintenant un village agricole actif, on brûle la paille des rizières et on tire une grosse bouiffe de la pipe à eau

Ici, rien n’a changé. On gagne toujours bien peu à cultiver le riz essentiel pour les habitants et on pollue gaillardement l’air de la capitale en brûlant la paille.

Je suis sûr que MM Hulot, De Rugy et Jadot trouveraient des solutions en deux coups de cuillère à pot sans tenir compte un seul instant des revenus et du mode de vie de ces gens-là… L’éloignement ne se mesure pas uniquement en kilomètres.


10 novembre 2018 Hanoï,

Il ne faisait pas bien beau depuis notre arrivée mais aujourd’hui il pleut à verse et cela tombe mal: c’est la fête des quarante ans du lycée Phan Dinh Phung où est allée notre amie Phuong. Les anciennes élèves ont revêtu l’Ao Dai et sont revenues en masse voir leurs anciens professeurs qui ne cachent pas leur plaisir de se voir poursuivis par leurs anciennes élèves pour faire un selfie.

  Il existe une fête des enseignants au Vietnam car on doit célébrer ceux qui vous donnent accès à la culture, qui vous permettent de ne pas devenir un bourrin qui a toujours raison et qui n’entend jamais ceux qui ne pensent pas comme lui. 

Le soir, à la maison on retrouve certaines des anciens camarades de classe de Phuong (au fond à gauche) et ils évoquent le bon vieux temps quand on était plus jeune, la vie plus simple et quand l’amitié tenait lieu de ciment social.

Tant bien que mal, avec les traductions de Pierre et Phuong, on arrive à suivre la conversation. Tous n’ont pas réussi socialement de la même façon, mais grâce à cette amitié durable , les coups de mains des uns aux autres ont permis à la plupart de « s’en tirer ».  On parle voitures car c’est la nouvelle frontière de la classe moyenne vietnamienne. Tout le monde en rêve et quand j’évoque les nouvelles manières d’acheter une voiture en Europe en leasing ou location très longue durée à moins de deux cents euros par mois, l’un des convives me dit que si sa grande fille et lui arrêtent de manger, la famille pourra peut-être se payer  la 2008 qui les fait rêver. Il gagne sept millions de dongs par mois soit 280 euros. 


12 novembre 2018 Hanoï,

Pour se réapproprier la ville, nous revenons vers nos endroits favoris, la pagode Bo De, le long du fleuve rouge. J’y avais photographié de petits handicapés il y a quelques années. Ils sont partis et la pagode a pris un air ancien alors qu’elle a été refaite à neuf il y a quatre ans. C’est l’effet magique du climat vietnamien. Le neuf ne dure pas longtemps, l’humidité et les précipitations transforment les maisons neuves en vieilles pierres en une dizaine d’années.

A Van Duc, notre village préféré, c’est jour de mariage et plusieurs célébrations ont lieu le même jour. Les astres en ont décidé, c’est un jour favorable et on se marie à tour de bras si j’ose dire. Il y a des princesses de tous les âges, des fumigènes et de l’azote liquide qui dégouline dans les verres de champagne rosé, presque rouge. C’est Hollywood à Van Duc.

Sur la route de la digue en revenant de Son Tay ( ou deux cents valeureux soldats français exterminèrent une vingtaine de nha que vietnamiens à la fin du dix neuvième siècle), les travaux vont bon train, comme partout d’ailleurs, on aménage, remblaie élargit, améliore… Une croissance à 7% cela ferait des heureux dans les rangs du gouvernement français et on admirerait la vista remarquable des technocrates qui nous dirigent sans nous connaître. Mais ici comme chez nous, la croissance laisse bien des gens sur la route. A Hanoi, le mètre carré est pratiquement aussi cher qu’à Paris et dans les campagnes les revenus augmentent moins vite que l’inflation. En dix huit ans, le café (boisson luxueuse dans un pays de buveurs de thé vert) est passé de deux mille dongs à vingt mille dans un petit rade et monte jusqu’à trente cinq mille en centre ville, voire cinquante mille dans les cafés bourgeois (deux euros un café dans un pays où l’on peut encore manger une soupe au boeuf pour un euro cinquante???


That Khe 13 novembre,

Les bons amis sont généreux: Pierre et Phuong nous prêtent une de leurs motos, une Suzuki GN 125, connue des connaisseurs pour être « increvable ». Elle a dix sept ans et roule comme une adolescente. Après un petit apprentissage, elle deviendra une amie au caractère bien trempé.

That Khe se trouve dans la partie est du Vietnam du nord, à deux encablures de la Chine, sur la route Lang Son-Cao Bang, autrefois appelée par les troupes coloniales la RC4, de sinistre mémoire pour nous, une étape vers l’indépendance pour les vietnamiens. Un voisin décédé à quatre vingt quatre ans il y a quelques années, m’avait raconté la plus belle peur de sa vie sur cette route qu’il dévala à fond les manettes au volant d’un camion américain, tous pneus crevés, pour échapper aux tirs adverses.

En évoquant cet épisode de sa vie, il en tremblait encore… Cet ancien combattant d’Indochine, au solide bon sens d’ouvrier de l’arsenal, était le parrain de deux enfants vietnamiens qu’il n’avait jamais vus, à qui il versait deux sous tous les mois pour qu’ils puissent aller à l’école. C’était M. Lemaresquier, un brave homme.

Comme dans beaucoup d’endroits, nous ne reconnaissons pas That Khe visitée en 2004. Nous nous souvenons de nuées de canards et des cris suraigus de petits cochons que l’on castrait. Quatorze ans au Vietnam c’est un demi siècle en France mais le marché existe toujours comme il y a cinquante ans, il ressemble à tous les autres marchés vietnamiens, on y trouve des gens simples et accueillants, des Com Pho où l’on mange une bonne soupe au boeuf et des enfants qui vont à l’école


Cao Bang, Pac Bo, 14 novembre

Il n’y a guère mieux qu’une moto pour parcourir le Vietnam, d’autant plus que les routes se sont beaucoup améliorées et autorisent notre bolide à grimper des pentes de 12 et 13% avec courage et ténacité. Néanmoins, nous ne sommes pas là pour battre des records mais pour profiter des rencontres et des paysages. Nous retrouvons avec plaisir le Vietnam que nous aimons, celui qui nous accueille avec chaleur et gentillesse. Nous passons une heure avec des paysans au travail qui se demandent pourquoi on prend tant de photos. Parce que c’est beau ici, aurions nous pu répondre, parce que les gens, le lieu, l’air du temps sont beaux, sereins, calmes et nous aident à vivre.

A sept heures du matin, le temps est frais à Cao Bang. Le marché est mon repaire d’insomniaque et je bois un café qui réveillerait un mort en regardant les paysans venus vendre leurs produits.

Il y a presque vingt ans j’avais emmené un jeune loup d’ambassade, attaché audiovisuel à Johannesbourg, visiter Pac Bo. Il avait senti un vague sentiment d’étrangeté l’envahir en constatant que le nom de la rivière était Le Nin et celui de la montagne, Cac Max. Il est vrai que l’Oncle Ho s’était réfugié à Pac Bo pendant la deuxième guerre mondiale avec ses modèles. A la moindre alerte, il passait très facilement en Chine en parcourant une centaine de mètres. Monsieur l’Attaché avait chanté l’Internationale devant des touristes vietnamiens médusés. Les chants désespérés sont souvent les plus beaux.


Bao Lac 15 novembre

Chaque matin, je me lève aux aurores et déambule sans projet précis sinon celui de me repaître de ce que l’on peut voir dans un village de montagne. Il fait froid, le village est dans les nuages au sens propre et l’humidité conjuguée à la température pousse le photographe à ne sortir les mains du blouson que lorsque c’est vraiment nécessaire. Les paysans appartiennent à différentes ethnies qui rivalisent d’élégance pour se distinguer les unes des autres. Différentes ethnies Mong ou Hmong ou Mong fleuris portent des tenues très colorées, les Dao, eux, se remarquent à leurs tenues noires impeccables que souligne un liseré rouge. Les voyageurs étrangers sont rares en cette saison et on les accueille toujours avec un sourire.

Sur le pont, les premiers arrivés occupent les meilleures places bien sûr. Monsieur vend des canards et ne refuse pas le plaisir de se faire photographier par un tay tay (expression désignant tous ceux qui viennent de l’ouest).

Hier je suis allé me faire couper les cheveux chez le barbier local et j’ai bénéficié d’un goi dau (massage et shampoing) digne des meilleures maisons. Cela m’a évidemment coûté une somme extravagante mais quand on voyage, on ne regarde pas à la dépense. En France, mon coiffeur aurait pu se payer un café sans croissant pour ce prix là.

Bao Lac sent la campagne qui se porte bien. Sur le marché, les gens ont de l’argent et les billets s’échangent rapidement. Ce sont les femmes qui tiennent les cordons de la bourse et de grosses liasses sorties de leurs poches indiquent que la vente du riz a été bonne. Tant mieux, la pauvreté fatigue les yeux et le coeur.